EXPOSITION GRÉGOIRE SCHREIBER
AU MUSÉE MUNICIPAL DE MORET
Exposition consacrée à Grégoire Schreiber, à l'initiative des Amis de Moret et de son président M. Paylot, avec le concours de la fille du peintre Evelyne Rival et de Jean-Paul Poix.
Vieux quartier de Paris.
Le Vernissage de cette exposition consacrée à Grégoire Schreiber a été effectué vendredi 6 juillet, avec la présence entre-autres, de Jacques Bel, chargé de la culture à Moret, Luc Paylot, président des Amis de Moret et Evelyne Rival, fille du peintre.
Tous les ans les Amis de Moret choisissent un peintre qui a officié dans la région ou a un rapport avec la région, pour le mettre en avant lors d’une exposition. Cette fois-ci, M. Paylot, président des Amis de Moret, a été mis en relation avec M. Foix qui est peintre professionnel, et qui lui a permis de rentrer en contact avec la fille de Grégoire Schreiber pour exposer les œuvres qu’elle a en sa possession.
Cette exposition, est visible au Musée Municipal de Moret jusqu’au 2 septembre, tous les vendredis, samedis et dimanches de 14h à 19h.
Monsieur Paylot, président des Amis de Moret :
« Les Amis de Moret ont le plaisir d’accueillir au musée municipal les œuvres de Grégoire Schreiber. Peintre à la vie mouvementée, il est né en 1889 à Odessa.
Grégoire Schreiber, juriste, n’est pas un peintre professionnel. La bonne formation artistique reçue dans sa jeunesse lui permet de gagner sa vie d’exilé grâce à sa boîte de peinture et à ses pinceaux.
Vous allez trouver dans cette exposition ses œuvres exécutées en France et parmi elle une qui a été exposée en 1929 au Salon d’Automne.
Cette exposition propose un échantillon assez complet de son travail : huiles, portraits, marine ou paysage méditerranéen où il réside pendant la période de guerre. De retour en région parisienne, il s’installe dans un wagon acquis en 1937 qu’il aménage en une agréable petite maison à Samoreau.
A partir de 1945, sa peinture présente les champs, les bords de Seine, la forêt de Fontainebleau. Michel Papiche, son ami, lui permet de découvrir l’aquarelle. Il est alors prolifique et vous trouverez ici de nombreux paysages de Seine-et-Marne, une aquarelle de Moret, une fête à Samois, un pêcheur au bord de l’eau, ainsi que des paysages croqués lors de ses voyages.
La plupart de des aquarelles ont été exposées lors de salons de 1950 à 1953, année de son décès. Je remercie Madame Evelyne Rival de nous permettre de découvrir les œuvres de son père. »
GREGOIRE SCHREIBER
D'exil en exil avec une boite de peinture...
Par Evelyne Rival, fille du peintre
Grégoire Schreiber, mon père, est né le 1er/13 juin 1889 à Odessa, alors la troisième ville de l’Empire russe, une ville-monde comme l'appellent certains, en raison de son caractère cosmopolite, grand ouvert sur l'extérieur. Située au bord de la mer Noire, Odessa, la méridionale, était jusqu'à la révolution une ville prospère grâce notamment à son statut de port franc obtenu en 1817. Connue pour la beauté de son site et l'élégance de son architecture, elle le fut aussi pour son culte des arts. Tous les arts sans exception : la littérature, la peinture, le ballet et, bien sûr, la musique -ne disait-on pas qu'à Odessa, même les dockers chantent l'opéra!!
Appartenant à l'intelligentsia juive parfaitement assimilée au monde russe, à sa culture et à sa langue, la famille de mon père ne dérogeait pas à l'esprit de la ville. Avocats ou médecins, chacun y était aussi poète, dramaturge, écrivain, musicien, sculpteur, peintre. Des soirées littéraires ou musicales étaient fréquemment organisées chez les parents de mon père.
Ainsi sensibilisé très tôt, comme tous ses frères, à toutes les formes d'art, Grégoire choisit-il de mener parallèlement à ses études secondaires, puis universitaires, des études de violon ainsi que l'apprentissage de la peinture.
Dans un roman assez autobiographique, il trace le portrait de son premier professeur de peinture. «Ivan Ivanovitch avait un visage ascétique, les traits fins d'un prince d'Asie, une barbiche légèrement bouclée de Christ /.../, des yeux profonds et clairs. Sa figure était allongée, ses mains à peine emplie de chair. Il était grand, doucement exalté. Il venait de sortir de l'Académie des Beaux Arts de Saint-Pétersbourg. Il peignait des enfants faméliques, vêtus d'étoffes sommairement taillées, chaussés de laptis d'écorce de bouleau. Il leur donnait des yeux démesurés, assoiffés d’humanité, pleins d’espoir à la mesure de la patrie chrétienne, noyés dans une immense misère imméritée». On se croirait dans un tableau signé par un «Ambulant», un Vassili Perov, un Nicolaï Gay ou un Ivan Répine! En effet, pour les membres du mouvement des «Ambulants», il convient de fuir l'art pour l'art. Pour eux, l'art doit être au service du peuple.
Ce mouvement né en 1870 à Saint-Pétersbourg était toujours vivant au début du nouveau siècle. Il fut même prolongé à Odessa par la création en 1902 de la Société des Artistes russes du sud. Mon père en fit-il partie, je n'ai pas la réponse. Il est certain, en tous cas, que son professeur de peinture touchait une corde sensible auprès de lui en plaçant la vie sociale et surtout la misère du peuple au centre des représentations picturales. Mon père avait, en effet, dès l'âge de 14 ans, commencé à militer au sein des SR, les socialistes révolutionnaires, et participé activement à la révolution de 1905. Cette activité a du, au début, trouver un reflet dans sa peinture, mais très vite les grandes expositions de 1909 et de 1910 à Odessa, qui faisaient une large place aux grands noms de la peinture française, ont fait évoluer son regard. En témoignent deux petites toiles néo-impressionnistes représentant des paysages de Crimée. Elles se trouvent à Moscou chez une parente, dont la grand-mère les avait apportées d'Odessa. Ainsi ont-elles été sauvées du désastre de l'exil.
Istanbul
La période de la guerre civile, qui débuta après la révolution d'octobre 1917, fut une période de continuels changements politiques qui vit se succéder à Odessa pas moins de vingt gouvernements différents! Je ne pense pas que mon père participa directement à l'un d'entre eux, mais il contribua par sa plume et par sa parole à défendre tout au long de ces années ses idées de justice sociale tout en s'opposant avec force aux méthodes sanguinaires des bolchéviques. Et quand ceux-ci prirent finalement et définitivement le pouvoir en février 1920, il fut tout naturellement très vite désigné pour le peloton d'exécution... Un de ses amis put heureusement le prévenir à temps ce qui lui permit de fuir sur un cargo de la Croix Rouge américaine, le dernier en partance pour Istanbul. Son seul bagage, un peu de linge, quelques livres, son violon et une boîte de peinture...
Et tandis que le bateau s'éloigne, l'œil du peintre s'attarde: «le phare du port n'est plus qu'une aiguille blanche tranchant sur un ciel nuageux».
Arrivé en Turquie, l'œil du peintre est toujours là pour décrire «le Bosphore rendu à ses couleurs de bleu de céruleum clair, la blanche mosquée Achmédié, les mystérieuses demeures du vieux Stamboul, les femmes en noir, le visage invisible derrière le tchartchaft, les hommes aux têtes coiffées de rouge et de blanc…»
Désormais, pour gagner sa vie, il peint le jour de petits tableaux destinés à la vente. Le soir il est violoniste dans un orchestre qui joue dans un cinéma. Il a aussi accepté une place de comptable chez un commerçant. Las, celui-ci fait rapidement faillite et le cinéma change d'orchestre... mon père n'a plus de quoi acheter ni couleurs ni toiles. Ni payer son loyer. Pour survivre quelques jours encore, il vend son violon.
Mais la peinture lui sauve indirectement la mise:«une exposition de peinture ottomane s’est ouverte ces jours-là à Péra, et j’y suis allé, en guise d’oubli. Je m’étais arrêté devant un tableau représentant Béchiktache, une des parties de Stamboul authentique. C’était une belle œuvre, rapide et sûre, une vraie œuvre rendant compte de la sévère simplicité du pays». Un jeune homme l'aborde, l'interroge sur le tableau qu'ils regardent ensemble, apprécie ses remarques. Connaissance faite, le jeune homme lui offre gracieusement une pièce chez lui à Bechiktache. Peu après, ayant enfin obtenu un visa, mon père s'embarque pour l'Occidentdont il rêve depuis longtemps. Je pense qu'il part à nouveau les mains vides car il a vendu tous les tableaux peints à Istanbul que, d'ailleurs, il ne jugeait pas bons! Il était sans doute un peu sévère car il devait bien y en avoir un ou deux de Bechiktache, peints pour le plaisir et non à des fins alimentaires, qui auraient bien valutde poursuivre le voyage avec lui.
Berlin
La capitale de l'Allemagne est le but de ce nouvel exil. Il l'atteint via Marseille, puis Paris. A Berlin, s'est donnée rendez-vous toute l'émigration russe, qu'elle soit venue du nord ou du sud du pays. On est en 1922, la République de Weimar est en pleine hyperinflation. La vie est donc très difficile pour cette masse de réfugiés constituée surtout d'intellectuels désargentés! Mon père, lui, a trouvé du travail dans une banque, sans doute grâce à ses connaissances juridiques et à sa maîtrise de l'allemand, il s'en sort plutôt bien. Et s'il a désormais les moyens d'acheter couleurs et toiles, je ne sais rien de ce que fut sa peinture pendant son séjour en Allemagne qu'il quitte en 1926. Bien plus tard, en 1950, c'est en Allemagne qu'il reviendra pour faire ses débuts à l'aquarelle sous la conduite d'un aquarelliste de ses amis.
Paris
Mon père arrive à Paris en 1926. Comme pour tout nouvel émigré, les débuts sont matériellement difficiles. Mais parmi les ressources à explorer, la peinture figure, pour lui, en bonne place. Il s'y remet donc activement. De cette époque restent plusieurs toiles peintes en Bretagne dont Saint-Briac à mer basse (qu'il expose au Salon d'Automne de 1929) et quelques très belles huiles –paysages de bord de l'eau ou paysages urbains –peints avec vigueur, parfois à la limite de l'abstraction, sans oublier une très belle ébauche de portrait de ma mère et quelques petits tableaux. Tout le reste, nécessité oblige, a été vendu. Et s'il visite le Salon de 1930 en y annotant le catalogue pour marquer ses préférences, il n'y exposera plus jusqu'à l'après-guerre. Il est vrai que les Salons s'étaient faits rares ces années là puisqu'il n'y en eut ni en 1931, ni en 1933 et, bien sûr ni en 1939.
Entre temps, mon père que son passeport Nanssen n'autorise pas à exercer sa profession d’avocat à la Cour, a entamé une nouvelle carrière dans un métier voisin en ouvrant un cabinet de Conseil juridique. Et il s'y consacre pleinement d'autant que, récemment marié et jeune père de famille, il a désormais charge d'âmes.
Nice
La fin des années 30 en France est marqué par un climat très xénophobe et antisémite qui fait écho aux évènements de plus en plus inquiétants se déroulant en Allemagne et en Autriche puis en Tchécoslovaquie, pour se poursuivre par l'invasion de la Pologne en septembre 1939. Pour mon père, point n'est besoin d'attendre l'invasion de la France en mai 40, ni les lois de Vichy sur le statut des juifs, pour savoir qu'il lui faut quitter Paris au plus vite. La tentative de passage en Espagne de notre famille ayant échoué, Nice deviendra notre refuge jusqu'à l'entrée des Allemands dans la zone«no-no».
Une fois de plus, mon père se remet à ses pinceaux. Cette fois il peint beaucoup de natures mortes, mais aussi des paysages –Cagnes sur mer, Eze village, Vence -qui doivent le ravir car il y retrouve les couleurs des paysages de Crimée et le bleu intense de la mer.
Le succès commercial est-il au rendez-vous? J'en doute quelque peu car, dès fin 1941, sa correspondance montre qu'il porte ses efforts et ses espoirs davantage sur l'écriture que sur la peinture.
Fin des exils et joies de l'aquarelle
Le retour à Paris fin 1944 marque pour mon père la fin des exils. Mais c'est une période très noire en raison des nouvelles d'URSS: Odessa est classée parmi les villes-martyre et, comme à Kiev, les juifs y ont été systématiquement massacrés par les nazis allemands et roumains. Presqu' aucun membre de notre famille n'y a échappé et notamment la fille aînée de mon père, ma demi-sœur, à laquelle il n'a pas un jour cessé de penser depuis leur séparation. Son deuil est indicible.
Il se remet pourtant peu à peu à la peinture peignant des paysages de Seine et Marne où ma mère et lui ont fait construire une maison de week-end et de vacances.
Et puis c'est l'apprentissage de l'aquarelle, une découverte qui l'enchante et le rend prolifique. Cette fois, il peint vraiment pour son plaisir, quelques scènes parisiennes, beaucoup de bords de Seine avec ou sans pêcheur, une fête champêtre à Samois, des paysages de Samoreau, Moret, Montigny sur Loing, des jardins, des champs, quelques paysages de montagne enneigée, mais aussi beaucoup de paysages «croqués» en voyage: Bruges, le lac Léman, Stratford on Avon, les bords du Nil, Gênes, Naples, Haïfa -peint depuis le bateau qui l'amène en voyage d'affaire en Egypte et dont il ne peut débarquer sous peine d' avoir un tampon israélien sur son passeport lui fermant la porte de sa destination finale !
Dès 1950, il expose cinq aquarelles au 40ème Salon de la Société de l'Ecole Française,puis en 1952 trois aquarelles dont deux sont reproduites au catalogue du 44ème Salon d'hiver et, la même année, quatre aquarelles au Palais des Beaux-Arts de la ville de Paris (exposition de 15 groupes). En 1953, c'est à titre posthume* que trois de ses aquarelles sont présentées au 45è Salon d'hiver. Figure aussi au catalogue son portrait en pied par son ami Michel Papiche, qui l'a pris sur le vif, béret sur la tête -comme un bon Français qu'il est devenu par naturalisation en 1947- face à son chevalet, peignant d'après nature. Je tiens beaucoup à cette esquisse qui me rappelle les meilleurs moments des dernières années de la vie de mon père quand, visiblement heureux, il s'attelait à une aquarelle.
Evelyne Schreiber-Rival
*Mon père est décédé à Paris le 26 janvier 1953.